POEMES ECRITS PAR UN CASABLANCAIS, ( pour des " BEIDAOUIS " )

En ce temps là…
Quand tu retrouveras au cœur de ta jeunesse
Le chemin d’Aïn Diab, corniche enchanteresse,
Souviens-toi du ciel bleu,
du bon temps du Lido,
Des rues fleuries d’Anfa…
d’un slow au Calypso.


Rappelle-toi des vagues aux écailles d’argent
Où l’ardeur de l’été s’abreuvait lentement,
Des plaisirs innocents de l’enfant insoucieux
Aux émois de la chair du jeune affectueux.
Demeurant l’immortel témoin et confident
D’une âme romanesque et d’un amour naissant,
L’album des souvenirs, jaloux de ses secrets,
Renferme des clichés qui hantent le passé…

 


Qu’il fait bon écouter ce quintette mythique
Qui ravit notre temps au gré de sa musique !
Nous n’avions pas seize ans, pas plus que la sagesse
De ne pas nous griser de nos folles promesses.
La timide passion, bercée par Only you

 


Dans nos mœurs ingénues des premiers rendez-vous,
S’enhardissait avec les dernières mesures,
Des gestes maladroits d’une étreinte immature…

Nous vivions au pays des belles traditions
Dans le profond respect des nobles convictions,
Sans affront ni l’effroi des ferveurs éperdues
D’un Islam excessif, jusqu’alors inconnu.

 

Et de Verlet Hanus à Saint François d’Assise,
De l’ancienne mosquée au temple ou à l’église,
Que l’on portât l’étoile, un croissant ou la croix,
L’amour et l’amitié triomphaient de la foi…
Mais le rêve s’éteint, une vive fraîcheur
Pénètre dans mon corps sans refroidir mon cœur.
Je frissonne soudain et réprime un sanglot ;
Le ciel se couvre, il pleut sur la rue Berthelot…

 

suite….

 


J’enrage au désespoir !

On prétend que des rues sont jonchées d’immondices
Empuanties d’urine en des recoins propices
Que trop de chiens errants, maladifs de surcroît,
A défaut de pitié, nous remplissent d’effroi ;
Qu’au sombre de tes nuits, dans l’insécurité,
Dealers, voleurs, pervers, ne sont pas inquiétés ;
Que la prostitution avilit tes quartiers
De désœuvrés contraints de se vendre ou mendier ;

 


A l’exception d’Anfa, bourgeoise endimanchée
En quête de vertus et d’une identité…
Centre ville d’antan devenu populaire,
Sillonné d’ambulants aux charretons précaires,
Carrousel bigarré d’un exode rural
Impatient et bruyant dès l’éveil matinal,
Terrasses habitées, bardées de paraboles,
Pestilence et pollution d’effluves de gazole,
Cinémas convertis en décharges publiques
Gaiement palissadées d’affiches idylliques,
Trottoirs non réparés de leurs vieilles fissures,
Caniveaux encombrés de tessons et vidures,
Permissive infraction d’étalages sauvages
De tabacs clandestins livrés au marchandage,

 


Racket organisé sur le stationnement
Des gardiens informels gratifiés indûment,
Ténébreuse industrie de la contrefaçon
Inondant Derb Ghallef de Lacoste et Vuitton,
Attentats et complots, corruption et censure,
Libertés surveillées, semblant de procédure…

 


Je ne me souviens pas que de tels errements
Aient pu, un tant soit peu, altérer notre temps !
Et serais complaisant si mon cœur savait feindre
Le mépris du passé.
Mais comment ne pas plaindre
Un trésor Art déco laissé en héritage,
Détruit par ignorance au-delà de l’outrage ?
Patrimoine historique, assujetti hélas,
Aux intérêts croissants de promoteurs voraces !

 


Face aux nombreux chefs d’œuvre, à ce jour disparus,
L’invasion du béton n’attire pas la vue, !
Contrairement aux grues de chantiers audacieux,
Souvent paralysés par un plan dispendieux.
Telle une parvenue qui se farde à outrance,
Tu exhibes un éclat pour masquer tes carences…
Longées par un tramway que l’époque indiffère,

 


Les ruines du Lincoln ont l’air d’un champ de guerre
Evoquant tristement les destructions blâmables
D’endroits de notre enfance à jamais mémorables.
Illettrisme important, disette et délinquance,
Tumulte séditieux, répression et violence …

 


Quand ta Sainte Ecriture, austère et redoutable,
Voile rire et beauté d’un rempart discutable,
Quand l’alcool s’y résume à la prohibition,
Transgressée au secret des amples libations,
Quand tes gamins des rues ont déserté l’école
Pour jouer au ballon et sniffer de la colle,
Quand l’exil diplômé briguant un meilleur sort
Te présage un modeste avenir sans essor,

 


Quand la nécessité frappant Sidi Moumen
Engendre un fanatisme exalté par la haine,
Quand la terreur sévit et pour quelques dirhams,
Sans doctrine inspirée, se fourvoie corps et âme,
Quand tu guerroies en vain, le mystique intégrisme
Fervent de la charia d’un vieil obscurantisme,
Quand les murs d’Oukacha gardent le désespoir
D’enchaînés croupissants, dissidents du pouvoir,
Quand le véto royal s’oppose et étatise,
Quand le droit féminin régresse et agonise,
Quand la mendicité se professionnalise,
Quand ton humanité se désolidarise,
Sur la Corniche on danse, on boit, on fume, on rit,

 


Etrangers aux fléaux de ta plèbe meurtrie
A l’instar des ghettos accablés de misère,
L’affligeant dénuement des cités ouvrières
Contraste avec les Tours d’un Maârif fastueux
Où Cartier et Guerlain comblent des plus chanceux.
Les yeux bandés, tu valses avec tes dissemblances,
Sans égards ni vergogne, entre luxe et souffrance.
Tes infâmes penchants et ton écart social
Ne sont en rien l’effet du mythe colonial !...

 


Ouverts aux relations, quel que fût notre culte,
A l’insu des conflits que l’amitié occulte,
Nous nous accommodions de ta terre en partage
Où nous fraternisions sans esprit de servage.
Tu incarnais l’écrin de la maison natale,
L’ermitage fleuri de la pierre ancestrale
Et la bonne harmonie d’une fusion ethnique.
Nos racines sont là et nos morts à Ben M’sick …

 


J’ai vécu dans tes bras d’adolescents plaisirs
Que nul autre idéal n’aurait pu assouvir.
Mais la plaie nostalgique, encore inapaisée,
A besoin de la source où mes lèvres ont trempé,
De ta plage écumeuse irisée d’arcs- en-ciel,
Au ressac sensuel sur nos corps au soleil,
De ce lien passionnel, envoûtant et subtil,
Noué par la douleur au moment de l’exil.
Mon cœur, jadis si fier de cet attachement,
Aujourd’hui pénétré d’un autre sentiment,
Languissant et déçu par tes métamorphoses,
Se tourmente à mourir du train où vont les choses.
Quand tu auras brûlé tout ce qui nous a plu,
Alors Casablanca, je ne t’aimerai plus.

 

Lucien

 

Lucien